Bêta bloquants en périopératoire pour la prévention de la mortalité ou des complications graves après une chirurgie ne portant pas sur le cœur

Cette revue a évalué les données probantes issues des essais cliniques contrôlés et randomisés (ECR) ayant étudié l’effet des bêta-bloquants sur la réduction de la mortalité et des complications graves lorsqu'ils sont administrés à des patients opérés d’une chirurgie autre qu'une chirurgie cardiaque. Les résultats de la chirurgie cardiaque sont l'objet d'une autre revue.

Contexte

La chirurgie induit un stress auquel l’organisme répond en libérant les hormones adrénaline et noradrénaline. Le stress induit par la chirurgie peut entraîner la mort ou d'autres complications graves telles qu’un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou un trouble du rythme cardiaque. Pour une intervention chirurgicale ne portant pas sur le cœur, les diverses évaluations indiquent que 8 % des opérés peuvent présenter une complication cardiaque au moment de l’opération. Les bêta-bloquants bloquent l'action de l'adrénaline et de la noradrénaline sur le cœur. Les bêta-bloquants peuvent ralentir la fréquence cardiaque et abaisser la pression artérielle. Ces effets pourraient réduire le risque de complications graves. Néanmoins, les bêta-bloquants peuvent entraîner une fréquence cardiaque très ralentie ou une pression artérielle très basse, ce qui pourrait augmenter le risque de mortalité ou d'accident vasculaire cérébral (AVC). Il est important de prévenir les complications postopératoires précoces mais l’utilisation des bêta-bloquants pour prévenir ces complications reste controversée.

Caractéristiques des études

Les données probantes sont à jour au 28 juin 2019. Nous avons inclus 83 ECR concernant 14 967 adultes opérés de divers types de chirurgies non cardiaques. Dix-huit études sont en attente d’une classification (parce que nous n'avions pas assez de détails pour les évaluer) et trois études sont encore en cours. Les bêta-bloquants utilisés dans les études étaient : propranolol, métoprolol, esmolol, landiolol, nadolol, aténolol, labétalol, oxprénolol et pindolol. Les études comparaient les bêta-bloquants soit à un placebo (camouflé pour ressembler à un bêta-bloquant mais ne contenant aucun médicament) soit à un traitement standard.

Principaux résultats

Les bêta-bloquants ont eu peu ou pas d'effet sur le nombre de patients (a) qui meurent dans les 30 jours suivant la chirurgie (16 études, 11 446 patients ; données probantes de faible niveau de confiance), (b) qui présentent un AVC (6 études, 9 460 opérés ; données probantes de faible niveau de confiance) ou (c) qui présentent des arythmies ventriculaires (rythme cardiaque irrégulier, point de départ dans les cavités cardiaques principales, pouvant mettre la vie en danger et exigeant un traitement médical immédiat ; 5 études, 476 participants ; données probantes de très faible niveau de confiance). Nous avons trouvé que les bêta-bloquants pourraient réduire la fréquence des fibrillations auriculaires (rythme cardiaque irrégulier, initié dans les oreillettes qui augmente le risque d'AVC s'il n’est pas traité ; 9 études, 9080 participants ; données probantes de faible niveau de confiance) et le nombre de patients qui ont présenté un infarctus du myocarde (12 études, 10 520 participants ; données probantes de faible niveau de confiance). Cependant, les bêta-bloquants pourraient augmenter le nombre de patients dont la fréquence cardiaque est très ralentie (49 études, 12 239 patients ; données probantes de faible niveau de confiance) ou dont la pression artérielle est très abaissée (49 études, 12 304 patients ; données probantes de niveau de confiance modéré) au moment de l’opération.

Dans peu d’études, nous avons constaté peu ou pas de différence dans le nombre de patients qui sont décédés après 30 jours, qui sont décédés d'un problème cardiaque ou qui ont présenté une défaillance cardiaque. Nous n'avons pas trouvé de données probantes indiquant que les bêta-bloquants modifient la durée de l'hospitalisation.

Aucune étude n'a établi si les patients ayant reçu des bêta-bloquants avaient eu une meilleure qualité de vie après une chirurgie cardiaque.

Niveau de confiance des données probantes

Le niveau de confiance des données probantes relevées dans cette revue était limité en raison de l’inclusion d’études qui présentaient un risque élevé de biais, et nous avons remarqué que certains de nos résultats étaient différents si nous ne retenions que les études contrôlées par placebo ou que les études qui indiquaient comment les participants avaient été randomisés. Nous avons également identifié une étude internationale bien conduite, portant sur une grande population dont les résultats différaient de ceux des études ayant considéré des populations plus faibles. Cette étude internationale a montré une réduction de la fréquence des infarctus du myocarde, mais une augmentation de la fréquence des AVC et de la mortalité toutes causes confondues lorsque les bêta-bloquants étaient administrés. Les autres études n'ont pas montré un effet aussi net. Concernant certains critères de jugement comme la fréquence des arythmies ventriculaires, nous avons été moins certains des résultats.

Conclusions

Bien que les bêta-bloquants puissent n'avoir que peu ou pas d'effet sur le nombre de patients qui meurent dans les 30 jours, présentent un accident vasculaire cérébral ou développent des arythmies ventriculaires, ils pourraient réduire la fréquence des fibrillations auriculaires et les infarctus du myocarde. La prise de bêta-bloquants pourrait augmenter le nombre de patients présentant une fréquence cardiaque très ralentie ou une pression artérielle très basse au moment de l’opération. Des données probantes supplémentaires issues des essais contrôlés par placebo portant sur de grandes populations pourraient augmenter le niveau de confiance de ces résultats. En outre, nous recommandons d’étudier le retentissement sur la qualité de vie.

Conclusions des auteurs: 

Les données probantes concernant la mortalité précoce toutes causes confondues associée aux bêta-bloquants périopératoires était incertaine. Nous n'avons pas trouvé de données probantes indiquant une différence dans les événements vasculaires cérébraux ou les arythmies ventriculaires. Concernant ces critères de jugement, le niveau de confiance des données probantes était faible et très faible. Nous avons trouvé des données probantes de faible niveau de confiance indiquant que les bêta-bloquants pourraient réduire la fréquence des fibrillations auriculaires et des infarctus du myocarde. Cependant, les bêta-bloquants pourraient augmenter la fréquence des bradycardies (données probantes de faible niveau de confiance) et probablement augmenter la fréquence des hypotensions (données probantes de niveau de confiance modéré). Des données probantes supplémentaires issues des essais contrôlés par placebos, incluant de grandes populations de patients, pourraient augmenter le niveau de confiance de ces résultats. En outre, nous recommandons l'évaluation de l'impact du traitement sur la qualité de vie. Dix huit études sont en attente de classification. L'inclusion de ces études dans les futures mises à jour pourrait également accroître le niveau de confiance des données probantes.

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Contexte: 

Des ECRs ont donné des résultats contradictoires quant au pouvoir des bêta-bloquants à influencer la morbidité et la mortalité cardiovasculaires péri-opératoires. En conséquence, la prescription routinière de ces médicaments à une population non sélectionnée reste controversée. Une version antérieure de cette revue évaluant l'efficacité des bêta-bloquants en péri-opératoire d’une chirurgie cardiaque et non cardiaque avait été publiée en 2018. Cette revue précédente a maintenant été séparée en deux revues différentes selon le type de chirurgie. La présente revue est une mise à jour qui évalue uniquement les données probantes en chirurgie non cardiaque.

Objectifs: 

Elle a pour but d’évaluer l'efficacité des bêta-bloquants administrés en périopératoire sur la prévention de la mortalité et de la morbidité liées à la chirurgie chez les adultes opérés d’une chirurgie non cardiaque.

Stratégie de recherche documentaire: 

Nous avons fait des recherches dans CENTRAL, MEDLINE, Embase, CINAHL, Biosis Previews and Conference Proceedings Citation Index-Science jusqu’au 28 juin 2019. Nous avons également fait des recherches dans les registres d'essais cliniques et la littérature grise, et nous avons effectué des recherches en amont en en aval dans les références bibliographiques d’articles pertinents.

Critères de sélection: 

Nous avons inclus des ECRs et des études quasi-randomisées comparant les bêta-bloquants à un groupe contrôle (placebo ou soins standards) administrés pendant la période périopératoire à des adultes opérés d’une chirurgie non cardiaque. Si des études comprenaient des interventions chirurgicales conduites sous différents types d'anesthésie, nous les avons incluses si 70 % des patients ou au moins 100 patients avaient reçu une anesthésie générale. Nous avons exclu les études dans lesquelles (a) tous les patients du groupe témoin ayant reçu un traitement standard avaient reçu un agent pharmacologique n’ayant pas été administré aux patients du groupe testé, (b) tous les patients du groupe témoin avaient reçu un bêta-bloquant, (c) les bêta-bloquants avaient été associés à un autre agent (par exemple du magnésium). Nous avons exclu les études qui ne mesuraient pas ou ne rapportaient pas les critères de jugement de cette revue.

Recueil et analyse des données: 

Deux auteurs de cette revue ont recherché de façon indépendante les études à inclure et ont recueilli les données et les risques de biais. Le score GRADE a été utilisé pour évaluer le niveau de confiance des données probantes.

Résultats principaux: 

Nous avons inclus 83 ECR portant sur 14 967 participants ; nous n'avons trouvé aucune étude quasi-randomisée. Tous les patients étaient opérés d’une chirurgie non cardiaque, et le risque chirurgical variait de faible à élevé. Les bêta-bloquants administrés étaient : propranolol, métoprolol, esmololol, landiolol, nadolol, aténolol, labétalol, oxprénolol et pindolol. Dans neuf études, les bêta-bloquants ont été titrés sur la fréquence cardiaque ou la pression artérielle. La durée de l'administration variait d'une étude à l'autre, tout comme le moment auquel les médicaments ont été administrés. Dans la plupart des études, l’administration était en peropératoire. Dans 18 études l’administration était avant la chirurgie. Dans six études elle était postopératoire. Dans une étude comportant plusieurs bras l’administration a été à des moments différents. Une étude ne précisait pas le moment où le médicament était administré. Globalement, nous avons constaté que plus de la moitié des études ne précisaient pas suffisamment le mode de randomisation. Toutes les études dans lesquelles le groupe contrôle avait reçu un traitement standard présentaient un risque élevé de biais de performance en raison du caractère ouvert de l'étude. Seules deux études ont été enregistrées prospectivement dans les registres d'essais cliniques, ce qui a limité le risque d’enregistrer un biais. Dans six études, des patients du groupe contrôle ont reçu des bêta-bloquants comme traitement de secours pendant la période de l'étude.

Les données probantes concernant la mortalité toutes causes confondues à 30 jours étaient incertaines. Basé sur un risque de décès de 25 pour 1000 dans le groupe contrôle, l'effet des bêta-bloquants variait de deux fois plus faible à 13 fois plus importants tous les 1000 patients (risque relatif (RR) 1,17, intervalle de confiance (IC) à 95 % de 0,89 à 1,54 ; 16 études, 11 446 participants ; données probantes de faible niveau de confiance). Les bêta-bloquants peuvent réduire la fréquence des infarctus du myocarde de 13 tous les 1 000 patients (RR 0,72, IC à 95 % : de 0,60 à 0,87 ; 12 études, 10 520 participants ; données probantes de faible niveau de confiance). Nous n'avons pas trouvé de données probantes indiquant une différence dans la fréquence de survenue des événements vasculaires cérébraux (RR 1,65, IC à 95 % de 0,97 à 2,81 ; 6 études, 9 460 participants ; données probantes de faible niveau de confiance) ou des arythmies ventriculaires (RR 0,72, IC à 95 % de 0,35 à 1,47 ; 5 études, 476 participants ; données probantes de très faible niveau de confiance). Les bêta-bloquants peuvent réduire la fréquence des fibrillations auriculaires ou des flutters de 26 cas tous les 1000 patients (RR 0,41, IC à 95 % : 0,21 à 0,79 ; 9 études, 9080 participants ; données probantes de faible niveau de confiance). Cependant, les bêta-bloquants peuvent augmenter la fréquence (a) des bradycardies de 55 cas de plus tous les 1 000 patients (RR 2,49, IC à 95 % : 1,74 à 3,56 ; 49 études, 12 239 participants ; données probantes de faible niveau de confiance) et (b) des hypotensions de 44 cas de plus tous les 1 000 patients (RR 1,40, IC à 95 % : 1,29 à 1,51 ; 49 études, 12 304 participants ; données probantes de niveau de confiance modéré).

Des limitations de certaines études nous ont conduit à déclasser le niveau de confiance des données probantes. Certaines études présentaient des risques élevés de biais. Les effets des médicaments étaient parfois modifiés lorsqu’on excluait les études portant sur un groupe témoin qui avait reçu un traitement standard. Seules les études contrôlées par un placebo ont montré une augmentation de la mortalité précoce et des événements cérébrovasculaires associés au traitement par les bêta-bloquants. Nous avons également abaissé le niveau de confiance en raison d’une incohérence : une étude internationale bien conduite ayant inclus un grand effectif avait montré une réduction de la fréquence des infarctus du myocarde et une augmentation des événements vasculaires cérébraux et de la mortalité toutes causes confondues lorsque les bêta-bloquants étaient utilisés, mais les autres études n'ont pas montré des données probantes indiquant une différence. Nous n'avons pas pu expliquer la raison de cette incohérence dans les données probantes concernant les arythmies ventriculaires, et nous avons également déclassé ce critère de jugement du fait de son manque de précision car nous avons trouvé peu d’études incluant de faibles effectifs.

Notes de traduction: 

Post-édition effectuée par Claude Lentschener et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr

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