Quelle est l'efficacité des modulateurs du cycle visuel (un type de médicament) pour prévenir et traiter l'atrophie géographique (une affection dégénérative de l'œil) ?

Pourquoi cette question est-elle importante ?
L'atrophie géographique est une affection oculaire entrainant une perte progressive de la vision centrale. Il s'agit d'une forme avancée de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), une affection dégénérative se développant généralement chez les personnes de plus de 50 ans. L'affection touche la partie centrale (macula) de l'arrière de l'œil (rétine). Il existe deux types de DMLA : « humide » et « sèche ». Dans la DMLA humide, les vaisseaux sanguins de l'œil fuient, alors que dans la DMLA sèche, ils ne fuient pas. L'atrophie géographique est un stade avancé de la DMLA sèche.

Actuellement, nous ne savons pas comment prévenir ou traiter la perte de vision causée par l'atrophie géographique. Une option de traitement potentielle est un type de traitement appelé modulateur du cycle visuel. Les modulateurs du cycle visuel empêchent une substance toxique (la lipofuscine) de s'accumuler dans la rétine, et pourraient donc ralentir la perte visuelle chez les personnes atteintes.

Nous avons examiné les données probantes issues des études afin de découvrir les bénéfices et les risques des modulateurs du cycle visuel pour le traitement et la prévention de l'atrophie géographique.

Comment avons-nous identifié et évalué les données probantes ?
Tout d'abord, nous avons recherché toutes les études pertinentes dans la littérature médicale. Nous avons ensuite comparé les résultats et résumé les données probantes de toutes les études. Enfin, nous avons évalué le niveau de confiance des données probantes. Pour ce faire, nous avons pris en compte des facteurs tels que la manière dont les études ont été menées, la taille des études et la cohérence des résultats d'une étude à l'autre. Sur la base de nos évaluations, nous avons classé les données probantes comme étant d’un niveau de confiance très faible, faible, modéré ou élevé.

Qu’avons-nous trouvé ?
Nous avons trouvé trois études menées aux États-Unis et en Allemagne ayant porté sur un total de 821 personnes atteintes d’un stade avancé de la DMLA sèche. Les trois études étaient des essais contrôlés randomisés : des études cliniques dans lesquelles les personnes sont placées au hasard dans l'un des deux ou plusieurs groupes de traitement. Les investigateurs ont traité les participants sur une durée de 90 jours à 24 mois, et les ont suivis pendant 7 à 30 jours une fois le traitement terminé. Les études ont comparé les effets d'un traitement placebo (factice) contre deux modulateurs du cycle visuel différents : emixustat (2 études) et fenretinide (1 étude).

Emixustat contre placebo

Des données probantes d’un niveau de confiance faible suggèrent qu'il pourrait n’y avoir que peu ou pas de différence entre l’emixustat et le placebo lorsqu'étaient considérés :

- La variation moyenne de perte de vision ;
- La proportion de personnes ayant perdu 15 lettres ou plus selon un tableau de vision ; ou
- La progression de l'atrophie géographique.

Fenretinide contre placebo

Des données probantes d’un niveau de confiance faible suggèrent que l'atrophie géographique pourrait progresser à un rythme légèrement plus lent chez les personnes traitées par fenrétinide à une dose de 300 mg par jour par rapport au placebo. Cependant, il n'était pas clair si cette différence était suffisamment importante pour faire une différence pour les patients.

Effets négatifs (non désirés)

Des données probantes d’un niveau de confiance modéré à faible suggèrent que :

- les effets effet indésirables les plus fréquemment rapportés étaient un retard d'adaptation à l'obscurité et des perturbations visuelles (telles qu'une vision anormalement colorée ou des zones sombres dans le champ visuel). Ces effets augmentaient avec l’importance de la dose de médicament et disparaissaient une fois le traitement terminé.
- L’emixustat n'était probablement pas associé à des effets indésirables autres que des problèmes affectant l'œil (tels que des troubles visuels), ou à des effets indésirables graves.
- Le fenrétinide pourrait être associé à un prurit ou à des éruptions cutanées.

Que n’avons-nous pas trouvé ?
Nous n'avons pas trouvé d’étude comparant les effets des modulateurs de cycle visuel et du placebo concernant :

∙ La proportion de personnes ayant perdu 10 lettres ou plus selon un tableau de vision ;
∙ La variation moyenne de la sensibilité de la macula à la lumière ; ou
∙ La progression vers la DMLA avancée chez les personnes atteintes de DMLA à un stade précoce ou intermédiaire.

Qu’est-ce que cela signifie?
Notre revue des données probantes suggère que, chez les personnes atteintes d’un stade avancé de dégénérescence maculaire liée à l'âge, les modulateurs du cycle visuel pourraient ne faire que peu ou pas de différence concernant :

- la progression de l'atrophie géographique ; et
- la perte de vision.

Le niveau de confiance de ces résultats est faible. Les résultats de notre revue sont susceptibles de changer si davantage de données probantes sont disponibles dans le futur.

Dans quelle mesure cette revue est-elle à jour ?
Les données de cette revue Cochrane sont à jour jusqu'en janvier 2020.

Conclusions des auteurs: 

Il existe peu de données probantes à l'appui de l'utilisation de modulateurs du cycle visuel (emixustat et fenretinide) pour le traitement de l'atrophie géographique établie due à la dégénérescence maculaire liée à l'âge. La réduction possible de l'incidence de la néovascularisation choroïdienne observée sous fenrétinide et, dans une moindre mesure, sous emixustat, nécessite une évaluation formelle dans le cadre d'études ciblées.

Lire le résumé complet...
Contexte: 

La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) est une maladie très répandue parmi une population âgée en constante augmentation. Bien qu'insidieuse dans ses premiers stades, la DMLA avancée (formes néovasculaire et atrophique) peut entraîner un handicap visuel important et constituer une charge économique pour les systèmes de santé du monde entier. La forme la plus courante, l'atrophie géographique, n'a pas de traitement efficace à ce jour, alors que la DMLA néovasculaire peut être traitée par des injections intravitréennes de facteur de croissance endothélial anti-vasculaire (anti-VEGF). L'atrophie géographique a une progression lente et les patients ont tendance à conserver une vision centrale jusqu'aux derniers stades. Cette tendance, associée à l'utilisation de modalités d'imagerie modernes, offre une large fenêtre d'opportunité pour intervenir avec des méthodes validées pour évaluer l'efficacité des traitements. L'atrophie géographique étant un état de plus en plus courant sans intervention efficace, de nombreux traitements sont à l'étude, dont les modulateurs du cycle visuel. Il a été démontré que ces médicaments réduisaient l'accumulation de lipofuscine lors d'études précliniques ayant conduit à plusieurs essais cliniques, examinés ici.

Objectifs: 

Évaluer l'efficacité et la tolérance des modulateurs du cycle visuel pour la prévention et le traitement de l'atrophie géographique secondaire à la DMLA.

Stratégie de recherche documentaire: 

Nous avons effectué des recherches dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL) (qui contient le registre des essais du groupe Cochrane sur l’ophtalmologie) (2020, numéro 1) ; MEDLINE Ovid ; Embase Ovid ; Web of Science Core Collection ; Scopus ; le site de l'Association pour la recherche en vision et ophtalmologie (Association for Research in Vision and Ophthalmology, ARVO) ; ClinicalTrials.gov et l'ICTRP de l'OMS jusqu'au 11 janvier 2020 sans aucune restriction linguistique. Nous avons également effectué des recherches en utilisant les références bibliographiques des revues et des études existantes et la fonction de recherche de référence citée dans Web of Science pour identifier d'autres études pertinentes.

Critères de sélection: 

Nous avons inclus des essais contrôlés randomisés (ECR) et des études cliniques quasi randomisées (si disponibles) comparant les modulateurs du cycle visuel à un placebo ou à l'absence de traitement (surveillance) chez des personnes diagnostiquées comme ayant une DMLA (atrophie précoce, intermédiaire ou géographique).

Recueil et analyse des données: 

Deux auteurs ont indépendamment évalué le risque de biais dans les études incluses et les données extraites. Les deux auteurs ont saisi des données dans RevMan 5. Les divergences ont été résolues par la discussion. Nous avons évalué le niveau de confiance des données probantes à l'aide de l'approche GRADE.

Résultats principaux: 

Nous avons inclus trois ECR provenant des États-Unis ; l'un d'entre eux comprenait des sites cliniques en Allemagne. Deux études ont comparé l'emixustat à un placebo, tandis que l'autre a comparé le fenrétinide à un placebo. Tous ont reçu un œil d'étude par participant et, ensemble, comprenaient un total de 821 participants dont la majorité est d'origine caucasienne (97,6 %). Tous les participants ont reçu un diagnostic d'atrophie géographique due à la DMLA sur la base de modalités d'imagerie validées. Ces trois études présentent un risque élevé de biais d'attrition principalement dû aux effets oculaires indésirables de l'emixustat et du fenretinide. Nous avons considéré qu'une seule étude avait été correctement menée et rapportant un risque élevé de biais dans un seul domaine (biais d'attrition). Nous avons considéré que les deux autres études étaient mal rapportées et qu'elles présentaient un risque élevé de biais d'attrition et de biais de rapport.

Les personnes atteintes d'atrophie géographique traitées par emixustat pourraient ne pas ressentir de changement cliniquement important de la meilleure acuité visuelle corrigée (MAVC) entre le début de l'étude et 24 mois par rapport aux personnes traitées par placebo (différence moyenne (DM) 1,9 lettres selon Étude précoce de la rétinopathie diabétique (Early Treatment Diabetic Retinopathy Study, ETDRS), intervalle de confiance (IC) à 95 % -2,34 à 6,14, données probantes d’un niveau de confiance faible). L’emixustat pourrait également n’entraîner que peu ou pas de différence dans la perte de 15 lettres ETDRS ou plus de la MAVC par rapport au placebo à 24 mois (16,4 % contre 18 %) (risque relatif (RR) 0,91, IC à 95 % 0,59 à 1,4, données probantes d’un niveau de confiance faible). En termes de progression de la maladie, l’emixustat pourrait n’entraîner que peu ou pas de différence dans le taux de croissance annuel de l'atrophie géographique par rapport au placebo (DM 0,09 mm2/an (IC à 95 % -0,26 à 0,44, données probantes d’un niveau de confiance faible).

Les trois études ont rapporté des effets indésirables des deux médicaments (emixustat : données probantes d’un niveau de confiance modéré ; fenretinide : données probantes d’un niveau de confiance faible). Les principaux événements indésirables étaient de nature oculaire et associés au mécanisme d'action des médicaments. Adaptation retardée à l'obscurité (emixustat : 54.5 % ; fenrétinide : 39.3 %) et la chromatopsie (emixustat : 22.6 % ; fenrétinide : 25.2 %) étaient les effets indésirables les plus fréquemment rapportés, et étaient les raisons les plus fréquentes d'abandon des études dans les essais d'emixustat. Ces effets dépendaient de la dose et régressaient après l'arrêt du traitement. Aucun événement indésirable systémique spécifique n'a été considéré comme étant lié à l'emixustat ; seuls le prurit et les éruptions cutanées ont été considérés comme étant dus au fenrétinide. Une étude sur l'emixustat a fait état de six décès, dont aucun n'a été jugé lié au médicament.

Aucun des ECR inclus n'a rapporté les autres critères de jugement prédéfinis, notamment la proportion de participants perdant 10 lettres ou plus, et la variation moyenne de la sensibilité maculaire. Nous avions prévu d'étudier la progression vers la DMLA avancée (atrophie géographique ou DMLA néovasculaire) dans le cadre d'études de prévention, en incluant des participants atteints de DMLA précoce ou intermédiaire, mais nous n'avons pas identifié de telles études.

Deux des études incluses ont rapporté un critère de jugement supplémentaire, l'incidence de la néovascularisation choroïdienne, qui ne figurait pas dans notre protocole publié. L'apparition de néovascularisation choroïdienne pourrait être réduite chez les personnes traitées par emixustat, mais les données probantes étaient incertaines (risque relatif (RR) de 0,67, IC à 95 % 0,27 à 1,65, données probantes d’un niveau de confiance faible), ou par fenrétinide (RR de 0,5, IC à 95 % 0,26 à 0,98, données probantes d’un niveau de confiance faible) par rapport au placebo. Une relation dose-dépendante a été observée avec l'emixustat.

Notes de traduction: 

Post-édition effectuée par Carole Lescure et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr

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